Appel à communication

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Le point de départ de ce colloque est la dynamique et la visibilité récentes des approches critiques des rapports sociaux dans la géographie française, alors que les analyses mettant l’accent sur les inégalités et les rapports de pouvoir et de domination sont incontournables depuis longtemps en géographie anglophone comme bien entendu en sociologie. Pour autant, les autres sciences sociales ne prennent pas toujours en compte la dimension spatiale de ces questions, c’est pourquoi ce colloque entend ouvrir un espace de dialogue transdisciplinaire et transnational.

Contexte et objectifs

Depuis le milieu des années 2000, la question de la dimension spatiale des rapports sociaux, et plus spécifiquement des inégalités sociales, des rapports de pouvoir ou de domination, semble de plus en plus investie par les géographes français. En témoignent les séminaires et colloques, les publications individuelles et collectives qui se sont multipliés autour des questions d’appropriation de l’espace, de justice spatiale, de gentrification, de discrimination territoriale, etc[1]. Plus que d’une nouveauté, il s’agit sans doute d’un nouveau seuil dans la mise en œuvre, mais aussi dans la visibilité et la structuration de ces orientations – que l’on dira « critiques » pour simplifier et reprendre une étiquette de plus en plus mobilisée[2]. Les filiations sont en effet multiples et articulent des dynamiques endogènes à la géographie française et l’importation de démarches rencontrées dans d’autres sciences sociales ou d’autres géographies, notamment anglophones, les unes et les autres étant inséparables de leurs contextes sociaux, économiques et surtout politiques.

À la faveur sans doute des mouvements sociaux redevenus importants dans la France des années 1990-2000 (grandes grèves de 1995, mouvements des « sans » : sans-papiers, sans-logis, sans-emploi, mouvements altermondialistes...), de l’explosion des inégalités socio-économiques puis de la crise financière internationale de 2007-2008, les sciences sociales françaises ont connu un certain « retour des classes sociales ». Dans la géographie française, cette entrée analytique avait été portée par les promoteurs/trices de la géographie sociale dans les années 1980. Elle connaît récemment un regain d’intérêt autour de la géographie radicale anglophone, avec notamment les nombreuses traductions des ouvrages de David Harvey, l’attention aux questions telles que la gentrification ou la ville néolibérale. C’est aussi du monde anglophone que des chercheurs et chercheuses, pour une part issu·es de la géographie culturelle, ont importé et mis sur le devant de la scène d’autres inégalités, discriminations ou rapports de domination jusqu’ici peu ou pas travaillés dans la géographie française : de sexe ou genre, de sexualité et de « race » notamment. Si des travaux plus anciens, notamment féministes, existaient déjà dans les autres sciences sociales du champ académique francophone, une même importation des études de genre puis postcoloniales ou subalternes y avait lieu à peu près au même moment et résonnait avec certaines mobilisations récentes (autour de la parité, du Pacs et du « mariage pour tous », des « émeutes des banlieues » en 2005, des « aspects positifs de la colonisation », de « l’affaire du voile », etc.). Plus encore, c’est l’analyse de l’intersectionnalité, de l’imbrication ou de la consubstantialité de ces différentes inégalités et rapports de domination qui est à l’agenda depuis plus d’une dizaine d’années dans les sciences sociales francophones mais dont le développement est encore limité en géographie.

En parallèle, l’espace ou la dimension spatiale des rapports sociaux ont commencé à être intégrés plus largement dans les analyses des autres sciences sociales (sociologie, science politique, histoire...), mais pas toujours de façon explicite et systématique. Si l’on met de côté certaines spécialités anciennes, telles que la sociologie urbaine[3], le « tournant spatial » évoqué par Edward Soja dès 1989 commence seulement à trouver une certaine réalité en France, à la faveur des débats sur la « mondialisation » et des autres « tournants » qu’ils semblent avoir suscités : autour des questions de mobilités ou circulations, des études « globales » ou « transnationales ». Particularité peut-être du champ académique français, ces amorces ne coïncident pas nécessairement avec une prise en considération des travaux des géographes alors que la discipline est relativement plus institutionnalisée et présente que dans d’autres pays. Et surtout, elles ne coïncident pas toujours avec un tournant critique... Mais les analyses des rapports de domination intégrant de facto leur dimension spatiale semblent bien se multiplier, par exemple à travers l’interrogation des effets d’échelle dans la sociologie critique, les premières recherches sur la dimension spatiale des mouvements sociaux, ou par différents travaux en appelant à Henri Lefebvre et à son marxisme hétérodoxe, l’année 2018 ayant même été consacrée cinquantenaire du Droit à la ville, fêté dans de nombreux événements[4].

Ce colloque entend s’inscrire dans le prolongement de ces dynamiques collectives et se donne pour objectif de contribuer à les renforcer, mais aussi à les faire converger en instaurant un espace-temps de rencontres et de discussions transnationales et transdisciplinaires : entre les diverses géographies critiques francophones ; entre ces dernières et celles d’autres champs nationaux ou internationaux (notamment anglophones) ; entre les approches critiques de diverses sciences sociales désireuses d’approfondir l’analyse de la dimension spatiale. Ce débat est nécessaire car les chercheurs et chercheuses qui les portent n’ont pas suivi les mêmes formations et trajectoires intellectuelles, ne mobilisent pas les mêmes références ou les mêmes outils, ne s’inscrivent pas dans les mêmes démarches, et sont loin d’être toujours d’accord. Il est donc important de mettre ces différentes options sur la table et d’en débattre afin de faire un état des lieux, de permettre des acculturations réciproques, d’identifier les points d’accord comme les points de blocage, et de faire avancer la réflexion. Comment analyser la dimension spatiale des inégalités et rapports de domination et leurs articulations ? Sur quelles bases faire se rencontrer les différentes approches critiques ? Quelles différences d’un contexte national à l’autre, d’une discipline à l’autre, d’une génération à l’autre, etc. ? Quels sont leurs points forts et leurs faiblesses, les tensions qui les traversent ? Sur quoi devrait-on mettre l’accent dans les années à venir ?

Axes de réflexion

Le choix a été fait de ne pas organiser de sessions spécifiquement thématiques définies à l’avance, et ceci afin de n’exclure personne a priori et de permettre le maximum d’échanges transversaux entre chercheurs et chercheuses travaillant sur des objets différents. Le colloque accueillera donc aussi bien des propositions empiriques portant sur des objets « classiques » ou déjà installés dans le paysage des approches critiques (ségrégations résidentielles, migrations, effets du néolibéralisme...) que sur des questions encore peu traitées, notamment en France, ou dont il est urgent de s’emparer au regard de l’actualité politique, constituant autant de nouvelles frontières qui nous paraissent essentielles : inégalités environnementales et écologiques (environmental cultural studies, political ecology), transformations de l’école et du monde du travail, institutions policières et carcérales, usages du numérique, situation des minorités, mobilisations collectives... Précisons enfin que si ces objets doivent être travaillés au prisme de la dimension spatiale des rapports sociaux, depuis les centres urbains jusqu’aux mondes ruraux et dans les Nords comme dans les Suds, il n’est pas exigé de croiser l’ensemble des inégalités, discriminations et dominations (de classe, sexe/genre, « race », sexualité, âge, handicap, etc.) ou de s’inscrire dans une approche forcément « intersectionnelle » pour participer : ces croisements pourront se faire au niveau collectif, dans les discussions des différentes sessions.

En fonction des réponses à l’appel, qui pourront prendre des formes alternatives (conférences gesticulées, théâtre forum, performance, etc.), plusieurs types de sessions sont envisagées, dont les contenus pourront s’entrecroiser :

- Des sessions épistémologiques consacrées à des panoramas historiques ou des études plus spécifiques des différentes approches critiques, de leurs orientations et de leurs relations dans différentes disciplines ainsi que dans différents pays. Quels sont les itinéraires empruntés par ces approches et celles et ceux qui les promeuvent ? Peut-on identifier des effets de contexte disciplinaire ou national (voire local) qui éclairent leurs caractéristiques ? Dans quelles conditions, par quels chemins et avec quels effets s’effectuent les circulations transdisciplinaires et transnationales - d’étiquettes, de concepts, de théories, de références, de méthodes... ? Quels sont les effets des dominations entre pays (et langues) ou entre disciplines ? Quelle est la place de la géographie et des travaux sur la dimension spatiale du social dans les différents champs nationaux, disciplinaires ou thématiques ?

- Des sessions théoriques portant sur les positionnements des participant·es dans lesquelles seront présentés et discutés les concepts, les approches et les références privilégiées. Quels concepts pour analyser les différents types d’inégalités et de rapports de domination ? Quelle pertinence et quelles limites des concepts de classe, sexe ou genre, « race », sexualité... ? Comment les articuler ? Avec quelle approche théorique ? Quelle actualité des grandes approches léguées par le 20e siècle (marxismes, structuralismes, féminismes, queer theory, études post-coloniales, subaltern studies, post-structuralistes...) ou des « grands noms » de la théorie sociale (Bourdieu, Butler, Delphy, Foucault, Lefebvre, Saïd, Scott…) ? Comment intégrer la dimension spatiale dans ces analyses, alors même que ces auteurs et autrices ne le font généralement pas eux/elles-mêmes ? Doit-on parler d’inégalités ou d’injustices « spatiales » ou « territoriales » qui viendraient s’ajouter aux inégalités de classe, de sexe/genre, de « race », etc., ou l’espace est-il une dimension de chaque rapport social comme de leur articulation ? Comment penser les effets de contextes, non seulement historiques mais aussi géographiques ?

- Des sessions méthodologiques consacrées aux techniques d’enquête mises en œuvre et plus largement aux démarches ou stratégies de recherche adoptées, et ce au prisme des approches critiques. Il s’agira de montrer, enquête à l’appui, l’intérêt ou les limites de telle ou telle option méthodologique, qu’elle soit bien établie ou innovante (cartographie, usage d’internet, de la vidéo, de la photographie, films documentaires, etc.). Il s’agira aussi de prendre un peu de hauteur sur les pratiques et leurs enjeux. Peut-on identifier des caractéristiques méthodologiques propres aux spécialités thématiques, courants théoriques, disciplines ou contextes nationaux ? Faut-il les conserver, les dépasser ou les articuler, à l’image de la vieille opposition entre méthodes « quantitatives » et « qualitatives » ? Quelles sont les implications de la dimension spatiale de toute méthode (en lien notamment avec ses prétentions à la généralisation) ? Quels sont les effets, avantages et difficultés, des recherches collectives - les collectifs associant semble-t-il de plus en plus souvent des membres de différentes disciplines, de différents pays, de différentes langues mais aussi des personnes qui ne sont pas professionnelles de la recherche ? Quels effets de domination dans ces collectifs mêmes ?

- Des sessions sur les formes d’engagement ou d’implication, les postures éthiques et politiques, et l’ensemble des rapports au monde social des chercheurs et chercheuses. S’il est bien évident que tout chercheur et toute chercheuse est impliqué·e dans le monde social d’une façon ou d’une autre, et non pas seulement celles et ceux qui se revendiquent engagé·es ou militant·es, y a-t-il des formes spécifiques d’implication liées aux approches critiques ? La question se pose-t-elle uniquement pour les effets potentiels de la diffusion des travaux, ou innerve-t-elle l’ensemble du processus de recherche (définition de la méthode, terrain, rédaction, etc.) ? Qu’impliquent par exemple les démarches « participatives » de « co-construction des savoirs » avec des enquêté·es, et dans ce cas quelle posture adopter lorsque la recherche porte sur des personnes en situation dominante ? Que faire face aux dominations traversant tout groupe ou collectif enquêté, même dominé ou militant pour une cause que l’on partage ? En particulier, quels rapports de domination peuvent se jouer entre chercheurs et chercheuses et militant·es ? Comment se positionnent chercheuses et chercheurs par rapport aux catégories ordinaires et militantes, par exemple celles qui ont été produites par les mouvements féministes comme « l’intersectionnalité » ? Inclure la dimension spatiale implique-t-il nécessairement de se focaliser sur les luttes « locales » et/ou d’appropriation de l’espace ? La question de l’implication se pose aussi au sein même du champ académique, dans nos rapports aux catégories produites par les institutions nationales ou internationales et aux (contre-)réformes de la recherche : quels effets, quelles réactions, quelles stratégies adopter ?

- En lien avec les précédentes, des sessions sur l’enseignement et plus largement sur les pratiques et formes de diffusion/transmission des savoirs dans l’université mais aussi hors institution académique. Nombre de chercheurs et chercheuses sont aussi des enseignant·es, notamment à l’université. Ne faut-il pas dès lors s’interroger sur la possibilité d’être un·e « enseignant·e critique » et sur ce que cela signifie et implique ? Est-ce que cela peut se résumer à la simple transmission de savoirs considérés comme critiques, sans s’interroger sur les formes de transmission et d’inégalités face au système scolaire ? Et comment s’emparer de ces questionnements sans répondre aux injonctions des institutions universitaires ? Vers quelles pédagogies, « alternatives », « critiques », « émancipatrices » voire « intersectionnelles », se tourner ? Quels bilans tirer des « universités populaires » et autres expériences hors les murs, des « mouvements d’éducation populaire » ? Et quelles relations tisser avec ces mouvements ?

Précisions sur l’organisation et calendrier

Ce colloque ne prendra pas la forme d’un congrès avec une multitude de sessions et d’ateliers en parallèle. L’objectif est de favoriser les moments d’échanges et de débats les plus larges, avec des formats de type « tables-rondes », en plénières ou « semi-plénières ». Pour cette même raison et  pour favoriser le dialogue entre locuteurs/trices de langues différentes, des textes sont attendus à l’avance afin d’être diffusés aux participant·es et de fournir la base de futures publications collectives. De la même manière, lors du colloque, les présentations orales des textes pourront se faire en français, en anglais ou en espagnol, avec l’obligation d’utiliser un diaporama dans une seconde langue.

Les propositions de communication devront comporter : un titre, un résumé (entre 3 000 et 5 000 signes) et une éventuelle proposition de rattachement à l’un des types de sessions. Nous attendons deux fichiers distincts, l’un anonymé, l’autre comprenant au début le(s) nom(s) et institution(s) de rattachement du ou des auteur(s) et autrice(s). Une fois les propositions acceptées, les textes des communications devront être compris entre 30 000 et 50 000 signes. Des publications collectives sont envisagées à l’issue du colloque, sous forme de livre ou de numéros de revues.

Les propositions de communication et les textes sont à envoyer à approches-critiques-caen@unicaen.fr selon le calendrier suivant :

  • 15 novembre 2018 : date limite de réception des propositions de communication ;
  • 15 janvier 2019 : retour de la décision du comité scientifique ;
  • 1er mai 2019 : date limite d’envoi des textes définitifs.


[1] Pour donner à lire les principales filiations françaises de ce colloque, voir ces publications parues depuis le milieu des années 2000 : Norois, 2005, n°195 : « L’appropriation de l’espace. Sur la dimension spatiale des inégalités sociales et des rapports de pouvoir », coordonné par Fabrice RIPOLL et Vincent VESCHAMBRE ; Annales de Géographie, 2009, n°665-666 : « Justice spatiale », sous la direction de Philippe GERVAIS-LAMBONY ; BRET Bernard, GERVAIS-LAMBONY Philippe, HANCOCK Claire, LANDY Frédéric (dir.), 2010, Justice et injustices spatiales, Presses universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 315 p. ; Regards sociologiques, 2010, n°40 : « Mobilité/autochtonie : sur la dimension spatiale des ressources sociales », coordonné par Fabrice RIPOLL et Sylvie TISSOT ; BACKOUCHE Isabelle, RIPOLL Fabrice, TISSOT Sylvie, VESCHAMBRE Vincent (dir.), 2011, La dimension spatiale des inégalités. Regards croisés des sciences sociales, Rennes, PUR, 357 p. ;  BLANCHON David, GARDIN Jean, MOREAU Sophie (dir.), 2011, Justice et injustices environnementales, Presses universitaires de Paris Ouest, Nanterre, 233 p. ; BONNY Yves, OLLITRAULT Sylvie, KEERLE Régis, LE CARO Yvon (dir.), 2012, Espaces de vie, espaces enjeux. Entre investissements ordinaires et mobilisations politiques, PUR, Rennes, 408 p. ; Carnets de géographes, 2012, n°4 : « Géographies critiques », coordonné par Yann CALBERAC et Marianne MORANGE ; CLERVAL Anne, FLEURY Antoine, REBOTIER Julien, WEBER Serge (dir.), 2015, Espace et rapports de domination, PUR, Rennes, 399 p. ; HANCOCK Claire, LELÉVRIER Christine, RIPOLL Fabrice, WEBER Serge (dir.), 2016, Discriminations territoriales. Entre interpellation politique et sentiment d’injustice des habitants, L’œil d’Or, Paris, 271 p. ; BONNY Yves, BAUTES Nicolas, GOUESET Vincent (dir.), 2017, L’espace en partage. Approche interdisciplinaire de la dimension spatiale des rapports sociaux, PUR, Rennes, 360 p. ; Carnets de géographes, 2017, n°10 : « Pour une réflexion collective sur l'enseignement de la géographie à l'Université », coordonné par Jean GARDIN, Marie MORELLE et Fabrice RIPOLL.

[2] De nombreux termes de cet appel à communication mériteraient d’être explicités, mais c’est précisément parce que les enjeux de définitions font l’objet de débats théoriques que l’équipe d’organisation de ce colloque a fait le choix de ne pas fermer le débat en précisant d’emblée le sens des mots. Réciproquement, ces termes auraient pu être mis entre guillemets pour marquer cette absence de prise de parti vis-à-vis des étiquettes mobilisées, mais nous en avons limité l’usage pour fluidifier la lecture.

[3] Récemment élargie en « Sociologie de l’urbain et des territoires » selon l’intitulé du réseau thématique de l’Association française de sociologie (AFS).

[4] « Cinquante ans après “Le droit à la ville” : quelle actualité ? » (Tours, mars 2018) ; « Henri Lefebvre, Le Droit à la ville (1968-2018). Rencontres internationales » (Paris, avril 2018) ; « Le droit à Lefebvre » (Caen, juin 2018).

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